Chanceux sont ceux qui trouvent de l’épanouissement dans leur gagne-pain. Les métiers à caractère artistique et créatif procurent du plaisir, en dépit de l’épuisement et de la concentration souvent excessifs. L’artisanat en fait partie. Dans les régions rurales et dans les gouvernorats du Sud, le savoir-faire ancestral est une passion qui donne du sens à la vie.
Chanceux sont ceux qui trouvent de l’épanouissement dans leur gagne-pain. Les métiers à caractère artistique et créatif procurent du plaisir, en dépit de l’épuisement et de la concentration souvent excessifs. L’artisanat en fait partie. Dans les régions rurales et dans les gouvernorats du Sud, le savoir-faire ancestral est une passion qui donne du sens à la vie.
La Salle de l’information, sise avenue Bourguiba à Tunis, a abrité, du 24 au 29 octobre 2022, les Journées commerciales de l’artisanat de Tataouine et de Médenine. Il s’agit d’un évènement qui fait partie des traditions de l’ONA dans l’optique de booster la visibilité de l’artisanat et de soutenir les artisans dans la commercialisation de leurs produits.
Il est 10h30 en ce mardi 25 octobre. Le parfum envoûtant du «bkhour» (encens) émane de la Salle de l’information, incitant les curieux à y jeter un coup d’œil. Plusieurs stands y ont été implantés. Chacun d’entre eux brille par une caractéristique bien à lui. L’esprit sélectif de l’ONA tape à l’œil et on a même l’impression d’entrer dans un petit village purement patrimonial. Des tapis amazighes, des bijoux, des produits de maroquinerie, des habits traditionnels, de la poterie fine, ainsi que des bibelots tissés à base de branches de palmier ; autant de domaines qui en disent long sur la richesse artisanale des gouvernorats de Tataouine et de Médenine.
Le «roghm» vit grâce à la mariée !
En face de la porte, Hayet Mazita a pris place, entourée de magnifiques tapis amazighes. Une artisane de 30 ans de carrière, elle s’applique, corps et âme, à pérenniser le savoir-faire fétiche à sa grand-mère, et ce, en dépit du manque de la matière première. «Les tapis amazighes de Douirett, à Tataouine, se distinguent par des couleurs foncées et d’autres phosphorescentes. Malheureusement, certaines couleurs ne sont pas disponibles en laine. C’est pourquoi nous nous trouvons dans l’obligation de recourir au synthétique et faire baisser, contraints, la valeur de la pièce d’art», souligne-t-elle. Des tapis couleur noire, bordeaux, et d’autres garnis de rouge, de rose et de vert sont animés par des motifs en fin fil blanc. Le «roghm» ou margoum de Tataouine, de Toujane, de Chnenni, de Guermassa, de Ghomrasen et de Tamazret se distingue, en effet, par une broderie en blanc, à la fois fine et compliquée. Les artisanes préservent encore ce savoir-faire ancestral pour le mettre en valeur aux regards des visiteurs étrangers mais aussi —voire surtout—, répondre favorablement à la demande locale. «Personnellement, je mets toujours en avant la demande locale. A Douirett, le trousseau de la mariée doit nécessairement compter le «klim», le «bakhnougu», la «taâjira», le «meguden» et la «bataniya» ; des tissages qui nécessitent beaucoup de temps de travail. Et ce n’est qu’en temps libre que je tisse des petits produits susceptibles d’intéresser les touristes aussi bien par leurs poids que par leurs prix», ajoute-t-elle. Notons qu’un «klim» amazighe de deux mètres sur cinquante centimètres implique un mois et demi de travail et se vend à 750DT.
Le «skhab» enivrant de Médenine
C’est bien elle qui embaume l’espace d’encens enivrant. Saloua Khalfa est une jeune passionnée de «Skhab». Ce nom bizarroïde fait pourtant le bonheur des femmes de Médenine, jeunes soient-elles ou âgées. Il s’agit, en effet, d’un produit naturel, fabriqué à partir d’une matière première appelée «mahleb». «La matière première est essentiellement importée de Libye ou encore des pays du Moyen-Orient. Le mahleb de premier choix coûte actuellement jusqu’à 150 DT le kilo. Il existe le mahleb de troisième choix. Son prix n’excède pas les 30 DT. Cependant, une fois transformé en shkab, il risque de périr au bout de quelques mois», précise l’artisane. Il est bon de savoir que cette matière, utilisée essentiellement pour garnir les bijoux traditionnels ou pour en extraire une huile parfumée, est le résultat d’un travail bien méthodique. Le mahleb est d’abord écrasé au mortier puis mélangé à l’eau pour qu’on obtienne une pâte. C’est à ce moment-là que l’une des deux couleurs-phares du skhab —et de la culture amazighe— est ajoutée à la pâte, à savoir le noir ou le rouge bordeaux. «Puis, nous choisissons les formes dont on a besoin pour les accessoires et nous faisons sécher le skhab à l’abri du soleil», renchérit-elle. Il faut dire que le résultat de ce travail, mais aussi de l’esprit créatif de Saloua, fascine tout visiteur. «Les accessoires que j’expose aujourd’hui sont des pièces uniques. Je ne fabrique jamais le même modèle deux fois», souligne Saloua. Les créations de cette jeune artisane sont proposées à des prix abordables. Les boucles sont à 10 DT, les bracelets sont à 5 DT, les accessoires de GSM sont à 10 DT, l’huile de skhab est à 7 DT. Le plus grand collier, conçu pour la mise en beauté de la mariée de Médenine spécial cérémonie du skhab, ne coûte pas plus de 85 DT.
Halte aux procédures accablantes !
Saloua s’active pour valoriser cette matière enivrante. Elle a la passion et la ferveur de la jeunesse, lesquelles se trouvent souvent entravées par les procédures accablantes. «J’aime participer aux foires et aux salons internationaux pour mettre en avant mes créations et tout un patrimoine. Cependant, indique-t-elle, l’administration annonce souvent les évènements cinq jours avant la date limite, fixée pour la remise des dossiers de candidature. Ce délai inclut un week-end… Autant de contraintes qui ne nous facilitent pas la vie. Je saisis cette occasion pour lancer un appel aux responsables: soutenez-nous, nous les jeunes, car nous avons du talent et du mérite». Le mérite de cette artisane lui a valu le titre du meilleur projet d’artisanat à Médenine.
Ouabr : un «bout du désert» dans un sac à main
Le stand de Emna Ben Hmida met en lumière des produits de maroquinerie, mariant le cuir, la laine ainsi que la fourrure des chameaux dite «ouabr». Ce métier exige une haute précision pour obtenir une finition irréprochable. La jeune artisane, venant de Tataouine, n’a pas vraiment choisi cette spécialité. «Tout ce qui comptait pour moi c’était de suivre une formation prometteuse, tout en misant sur l’artisanat à base de matières premières naturelles. Mes créations se distinguent des autres produits de maroquinerie par l’introduction de la laine et du ouabr, lesquels sont teints à base de colorants naturels», indique-t-elle. Des cartables, des parapheurs, des sacs à main, des pochettes, des portefeuilles, ainsi que des tapis et des couvertures ; autant de produits à la fois utiles, authentiques et tendances dont le prix varie de 5 à 70DT. Emna multiplie ses participations aux foires et salons pour mieux vendre ses créations. Néanmoins, sa principale clientèle demeure, indéniablement, les entreprises, les institutions nationales, mais aussi les Tataouinis résidant à l’étranger qui, une fois rentrés pour les vacances, n’hésitent pas à acheter des produits de l’artisanat comme cadeaux pour leurs amis étrangers. Le seul bémol qui préoccupe cette jeune artisane n’est autre que la disponibilité des accessoires dont elle a besoin, notamment les fermetures-éclairs, les fermoirs, etc. «A Tataouine, ces accessoires ne sont pas toujours faciles à trouver et coûtent nettement plus cher qu’ailleurs», souligne-t-elle.
Le «aârjoun» et ses mystères…
Le stand de Latifa Al Bendeg ne passe aucunement inaperçu. Cette artisane issue de Djerba valorise les fines branches du palmier «aârjoun» en les utilisant pour fabriquer des ustensiles de cuisine et des objets décoratifs. Des produits qui brillent par leur simplicité hautement raffinée, par leur côté épuré et par leur finition amplement réussie. «Nos aïeuls utilisaient le aârjoun pour fabriquer les tamis. J’ai pensé à introduire cette matière première dans la déco, tout comme dans la vie de tous les jours. Au début, j’ai eu l’idée de fabriquer une veilleuse à partir des fines branches de palmier. Puis, une avalanche d’idées se sont succédé : un service de petits bols, un ensemble décoratif pour la salle de bain avec des supports de petites bougies, une bonbonnière, des plateaux et même de petites corbeilles pour dragées», nous confie l’artisane. Les créations de Latifa, exposées à la Salle de l’information, coûtent entre 3 et 250 DT. Fière de son métier, Latifa se réjouit aussi de pouvoir former des femmes qui seraient prêtes à prendre le relais et à développer le métier. Dans son atelier, elle fabrique et vend ses produits tout en prenant goût à la formation. «Parmi mes disciples, figure une dame âgée de 68 ans. Passionnée et déterminée, elle m’aide parfois dans mon travail, le sourire aux lèvres et le cœur joyeux», avoue-t-elle.
Au sortir de la Salle de l’information, seule une idée taraude l’esprit : comment aider ces artisanes-artistes à accéder aux marchés internationaux ? Car il suffit parfois d’une connexion, d’un contact, pour voir les produits précités, appréciés et vendus sous d’autres cieux…
Photos : Koutheïr KHANCHOUCH